GOMA EN FLAMMES : LE SILENCE ASSOURDISSANT DU MONDE
- Fungula Marguerite
- 8 févr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 mars
L’Est du Congo brûle, et le monde détourne le regard. Goma, cité de souffrance et de résilience, est à nouveau le théâtre d’une tragédie qui semble condamnée à se répéter. Des milliers de vies fauchées, des camps de déplacés où l’humanité s’effiloche, des enfants qui grandissent sous le fracas des bombes et l’ombre des baïonnettes. Pourtant, malgré l’ampleur du drame, le silence de la communauté internationale résonne plus fort que les cris de détresse des réfugiés.
Un déplacement forcé qui échappe au droit international
Le droit humanitaire international fait la distinction entre un réfugié et un déplacé interne. Un réfugié est une personne ayant traversé une frontière pour échapper à la guerre ou à la persécution et qui bénéficie du cadre juridique de la Convention de Genève de 1951. Un déplacé interne, lui, reste dans son propre pays, sous l’autorité d’un État qui, bien souvent, est incapable de le protéger. À ce titre, les millions de Congolais déplacés à l’intérieur du pays n’entrent pas dans les dispositifs de protection des réfugiés.
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), plus de 6,9 millions de personnes ont été forcées de fuir leur foyer en RDC, un chiffre qui dépasse celui de nombreux conflits internationaux. Pourtant, leur situation est largement ignorée par la communauté internationale, car le droit à l’asile ne s’applique pas aux frontières invisibles que ces déplacés n’ont pas franchies.
Ces populations se retrouvent alors entassées dans des camps insalubres, où la promiscuité et le manque d’hygiène favorisent la propagation des maladies. Selon Médecins Sans Frontières, une femme sur dix, âgée de 20 à 44 ans, a été victime de violences sexuelles dans les camps de déplacés du Kivu au cours des cinq derniers mois. En 2024, l’organisation a soigné plus de 17 000 victimes dans le Nord-Kivu, dont 70 % des cas étaient attribués à des hommes armés.
Un silence complice face à un conflit économique
Le silence international ne s’explique pas uniquement par l’éloignement du drame. Il est aussi le fruit d’une hypocrisie manifeste. L’Est de la RDC est une région stratégique, riche en minerais rares comme le coltan, la cassitérite ou l’or. Des ressources essentielles à l’industrie mondiale de la technologie, qui justifient toutes les ingérences et tous les chaos.
Les multinationales occidentales et asiatiques, bien qu’officiellement préoccupées par les droits humains, continuent d’importer des minerais dont l’exploitation finance les groupes armés responsables des massacres. Il existe bien des initiatives comme la Dodd-Frank Act aux États-Unis ou le règlement de l’UE sur les minerais de conflit, mais leur application reste faible et contournable.
Pendant ce temps, des puissances étrangères jouent un jeu trouble, soutenant certaines factions rebelles pour garantir leur accès aux ressources stratégiques. Les rapports des Nations Unies ont documenté ces implications répétées du Rwanda et de l’Ouganda dans le soutien aux groupes armés opérant en RDC.
Les acteurs locaux en première ligne
Si la communauté internationale brille par son absence, ce sont les ONG locales qui tiennent la ligne de front humanitaire. Parmi elles :
• Caritas-Développement Goma, qui tente d’apporter une aide d’urgence aux déplacés malgré des ressources limitées.
• BIFERD (Bureau d’Information, Formations, Échanges et Recherche pour le Développement), qui lutte contre la précarité et la vulnérabilité des déplacés.
• CASA Goma Association, qui œuvre pour protéger et éduquer les enfants victimes du conflit.
Mais ces efforts, aussi héroïques soient-ils, ne suffisent pas à enrayer la catastrophe humanitaire. Le gouvernement congolais, dépassé par l’ampleur de la crise, peine à répondre aux besoins des déplacés.
Des personnalités congolaises brisent le silence
Face à l’inaction des États, des figures emblématiques de la culture congolaise prennent la parole pour alerter l’opinion internationale.
Le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, continue son combat acharné pour les victimes de violences sexuelles en RDC. Son hôpital de Panzi, à Bukavu, est l’un des rares lieux où les survivantes peuvent recevoir des soins et un soutien psychologique. Il ne cesse d’interpeller la communauté internationale sur la nécessité de sanctionner les États complices de l’instabilité en RDC.
Dans le monde de la musique, des artistes comme Gims, Dadju et Fally Ipupa utilisent leur notoriété pour attirer l’attention sur la tragédie de Goma. Gims et Dadju, en particulier, ont à plusieurs reprises dénoncé la situation et appelé les autorités européennes à se mobiliser.
Que peut faire le gouvernement congolais ?
Si la communauté internationale reste indifférente, il appartient au gouvernement congolais de prendre des mesures pour protéger sa population. Trois axes majeurs s’imposent :
Déployer une aide humanitaire d’urgence : Les déplacés ont un besoin immédiat de nourriture, d’eau potable et de soins médicaux. L’État doit renforcer son soutien aux ONG locales et mobiliser des fonds nationaux et internationaux.
Renforcer la pression diplomatique : Kinshasa doit exiger des sanctions contre les pays et entreprises impliqués dans le pillage des ressources congolaises. Le gouvernement doit également peser davantage sur les instances internationales comme l’Union africaine et les Nations Unies.
Sécuriser les ressources minières : Il est impératif d’instaurer une certification stricte des minerais congolais et de punir les entreprises complices du financement des groupes armés.
Le silence n’est pas une option
L’histoire jugera sévèrement ceux qui ont regardé ailleurs pendant que Goma sombrait. Les déplacés du Kivu ne sont pas de simples victimes collatérales d’un conflit lointain, ils sont l’incarnation d’une injustice que le monde refuse d’affronter.
Si la communauté internationale persiste dans son mutisme, alors il appartient aux Congolais eux-mêmes de rompre le silence, de refuser cette fatalité imposée et d’exiger que justice et dignité ne soient plus de vains mots.
Comentários